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Carlyle draine les milliards des déçus de la Bourse

samedi 2 avril 2005, par nassim

Le fonds d’investissement américain, Carlyle, lève dix milliards de dollars, un record absolu.

Va-t-on devoir arrêter de se plaindre de la dictature des fonds de pension et pester contre celle des fonds d’investissement ? Si les premiers, qui gèrent l’argent des futurs retraités américains, sont déjà bien installés dans le monde financier, la puissance des fonds d’investissement, elle, ne cesse d’enfler.

Si on n’y prend pas garde, ils finiront par racheter tout le CAC 40... Cette semaine, l’américain Carlyle, le plus grand acteur mondial, a annoncé la levée de 10 milliards de dollars. Il pulvérise le précédent record de 6,5 milliards, obtenu en 2002 par Blackstone. Et on annonce chez les concurrents des levées de fonds équivalentes. Du jamais vu sur le marché du private equity, l’argent investi en dehors de la Bourse.

Effet de levier. Cette manne vient des acteurs traditionnels du monde de la finance ­ fonds de pension, banques, assurances et grosses fortunes ­, qui confient leur argent en espérant un formidable retour sur investissement. La plupart des fonds de private equity ont réalisé ces dernières années des taux de rendement annuels de plus de 30 %. Leur secret ? Ils achètent des entreprises, les font fructifier en serrant les coûts sans états d’âme, avec licenciement à la clé, et les revendent au bout de cinq à dix ans, en touchant une solide plus-value. La rentabilité est aussi assurée par le montage financier : les fonds n’apportent que 30 % du capital de l’entreprise, le reste venant des banques, via l’endettement. Les financiers appellent cela du leverage buying out ou effet de levier.

Le système n’est pas neuf. Mais il conquiert de plus en plus d’adeptes. « Il y a dix ans, les investisseurs institutionnels ne mettaient que 1 à 2 % de leur argent dans du private equity, analyse Jean-Pierre Millet, dirigeant de Carlyle Europe. Aujourd’hui, certains fonds américains précurseurs placent jusqu’à 10 % des sommes gérées. » Explication : la Bourse qui stagne depuis cinq ans a déçu les investisseurs. Et des chefs d’entreprise en ont eu marre de voir leur cours massacré alors qu’ils faisaient des efforts pour améliorer leurs résultats. Comme les fonds ont perdu, à leurs yeux, leur réputation de prédateur démantelant les entreprises, certains se laissent convaincre de faire un bout de chemin avec ces nouveaux partenaires.

Alliances. Du coup, le marché s’agrandit. « Avant, les plus grosses opérations tournaient à 150 millions d’euros, aujourd’hui, il est normal d’atteindre le milliard », confie un acteur du secteur. Un milliard, c’est le montant du chèque que le français PAI Partners a signé en décembre pour mettre la main sur la Saur, la filiale de service aux collectivités de Bouygues. Et quand la proie est grosse, les fonds n’hésitent pas à s’allier. En février, les britanniques Cinven et BC Partners ont lancé une OPA de 4,3 milliards d’euros sur l’espagnol Amadeus, leader mondial de la réservation de voyages. Et lundi, tous les records ont été battus : l’américain SunGard Data Systems, un groupe de services informatiques, s’est fait racheter pour 11,3 milliards de dollars par un consortium rassemblant la crème des fonds américains : Silver Lake Partners, Bain Capital, Kohlberg Kravis Roberts, Texas Pacific Group...

Mais cet afflux d’argent pourrait avoir des effets pervers. « Le nombre de cibles potentielles est limité et certains vont avoir la tentation de trop surenchérir, ce qui va faire baisser le rendement des opérations », analyse Jean-Pierre Millet. Les banques sont aussi pointées du doigt : elles prêtent à tout-va pour toucher de juteuses commissions, mais sans se préoccuper du risque. Une situation identique à celle qu’a connue l’immobilier au début des années 1990. Bref, toutes les conditions sont réunies pour qu’une bulle se forme... et éclate. Dans la finance, les miracles ne durent jamais éternellement.

Par Nicolas CORI, liberation.fr