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Au fin fond de la Kabylie : Zekri

samedi 18 décembre 2004, par Hassiba

Dans la commune de Zekri aux frontières de Tizi Ouzou-Béjaïa, on est surtout frappé par le spectacle de tant de misère et de dénuement.

Zekri, anciennement appelée Thaâroust, pourtant érigée en commune dès l’indépendance, est paradoxalement dans un état d’indigence et d’isolement quasi absolu et n’a, de surcroît, et au grand désespoir de ses 3 708 habitants, bénéficié d’aucune aide financière, qui aurait amélioré un tant soit peu les conditions de vie on ne peut plus insupportables de la population, qui a souffert dix longues années des affres du terrorisme, qui a sévi dans cette région montagneuse et qui a coûté, rappelons-le, la vie à trois éléments de la garde communale en 2001. Pour accéder à cette localité, distante d’environ 67 km de la wilaya de Tizi-Ouzou - située à l’extrême limite territoriale des wilayas Tizi-Ouzou et Béjaïa -, il faut emprunter l’unique route, dans un état de délabrement très avancé, nécessitant une réfection.

Une arrivés au chef-lieu de la commune de Zekri, notre attention fut attirée par le spectacle de tant de misère et de dénuement : un seul café fait office de lieu de rencontre où de jeunes chômeurs tuent le temps en jouant aux cartes à longueur de journée ou en parlant de leur équipe fétiche, la JSK ; un centre de soins exigu qui ne dispose même pas des moyens élémentaires tels pansements, seringues, etc., et qui fonctionne depuis belle lurette sans médecin. Juste deux infirmiers assurent le fonctionnement de ce centre ô combien indispensable ! Hormis la vaccination et les premiers soins, nous déclare un infirmier, aucun soin n’y est prodigué et les malades doivent se déplacer jusqu’à l’hôpital d’Azazga pour se faire soigner, soit une distance de 27 km, sachant que le transport dans ce bourg si isolé fait grandement défaut. Un petit immeuble, qui donne l’impression d’être inhabité, les stores étant fermés, sert de brigade de gendarmerie ; un siège d’APC où nous avons eu une conversation avec un technicien, l’administrateur étant absent.

Alors que ce dernier nous parlait des problèmes que rencontre la commune, notamment l’enclavement qui freine considérablement son économie, le responsable de la réglementation a fait apparition et nous a lancé tout de go : “dites que notre commune ne bénéficie de rien. Le chef-lieu de commune est privé d’eau et d’électricité. Le téléphone n’est pas encore installé. L’éclairage public ne fonctionne pas. Les logements ont été squattés sans que les autorités interviennent.”

Des villages dénués
Dans la cacophonie générale, nous sommes sortis, laissant les deux collègues se contredire, l’un tirant à hue l’autre à dia. Et pour vérifier la véracité des dires de l’employé, nous nous sommes déplacés dans quelques villages. Constat amer ! Les villages Bounaâmane, Thizagharine, Amalou et Aloun n’ont pas d’électricité depuis l’indépendance ! Et les routes qui y mènent sont dans un état lamentable. La population qui y vit souffre du problème de l’insécurité - qui a poussé nombre de villageois à abandonner leurs maisons et venir occuper illégalement des logements construits, mais hélas ! non distribués à ce jour -, du problème du gaz butane et de l’approvisionnement en pain.
Les propriétaires du seul café existant au chef-lieu de la commune de Zekri, dont l’obligeance désintéressée et déconcertante, n’a d’égale que sa disponibilité à répondre à nos questions, nous a précisé que 98% des jeunes de cette région, qui souffre du chômage, quittent leurs villages pour aller quérir du boulot soit à Alger soit ailleurs : Tizi Ouzou, Oran, constantine et Annaba. Car dans cette colline oubliée où seuls les éperviers tournent en rond ajoutant une note de tristesse au spectacle, déjà désolant, il n’y a pas de projets susceptibles de générer des postes d’emploi. Ceux qui ont l’heur, si heur il y a, d’être embauchés à la cantine du CEM ou à la mairie dans le cadre du filet social se font exploiter par des personnes véreuses.

Pas de projet : zéro emploi
En effet, ils font le travail des titulaires mais ne sont rémunérés qu’à 3000 DA, une salaire insignifiant. Et hormis les emplois saisonniers, surtout pendant la saison de la cueillette des olives ou des propriétaires des huileries embauchent de jeunes chômeurs, zéro emploi.
Pour toutes ces raisons, les jeunes de cette petite bourgade, qui voient leur avenir s’assombrir sans qu’aucune lueur d’espoir ne pointe à l’horizon, préfèrent prendre leur essor et fracturer les horizons pour des saisons plus hospitalières et des cieux plus cléments. En matière d’infrastructures scolaires, c’est le manque flagrant : 29 villages sans école primaire.

Sur les 32 villages que compte la commune Zekri, seuls trois, en l’occurrence Tabouda, Talbane et Tabaârourt, disposent chacun d’une école primaire. les élèves de 29 villages font le déplacement à pied dans des conditions climatiques insupportables, bravant le froid glacial connu dans cette région fortement boisée, l’APC ne disposant que d’un seul camion et un minibus, affectés au ramassage scolaire. Un seul CEM, le CEM Chaïb-Ahmed. Les professeurs qui y enseignent sont obligés de faire la navette chaque jour payant 140 DA la place. Le CEM Chaïb-Ahmed, nous déclare un enseignant visiblement fatigué, est un centre de formation pour les professeurs vacataires. Dès leur titularisation, ils se font muter tant enseigner au CEM de Zekri n’est pas une sinécure.

Le directeur de cet établissement s’est excusé de ne pouvoir nous accorder cinq minutes sous le prétexte qu’il avait une importante délégation à recevoir. Le surveillant général nous a interdit d’interroger les élèves pour avoir l’avis de ces derniers sur les programmes enseignés, n’ayant pas la permission du directeur de l’éducation de l’académie de Tizi-Ouzou qui aurait menacé et les profs et le directeur s’il dérogeaient à la règle, les conditions très difficiles influant négativement et sur le rendement des professeurs et sur les taux de réussite des élèves, qui, faut-il le signaler, est en nette régression d’année en année.

Plusieurs hectares de forêts ont été ravagés par les incendies que les sapeurs-pompiers n’ont pu maîtriser, les pistes étant inexistantes. d’où l’urgence de désenclaver cette région. Un homme d’un certain âge nous a interpellés : “Dites au président de la République qu’à l’orée de 2004, à Zekri, les gens sont privés de journaux, faute de distributeurs !”

Nous avons quitté Zekri laissant derrière nous une colline oubliée, qui fut une zone interdite au temps de la révolution et que les autorités de l’Algérie indépendante fuient comme on fuit un lépreux.

Par Djamel Oukali , Liberté