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A Brasilia, une exposition met en relief l’héritage arabe de l’"Amrik"

jeudi 12 mai 2005, par Hassiba

Distants géographiquement, l’Amérique latine et les pays arabes ont pourtant des relations anciennes. L’influence arabe en Amérique du Sud remonte à l’époque de la conquête, avec l’arrivée de colons imprégnés par des siècles d’occupation de la péninsule Ibérique.

La Glorieta célèbre pour son mélange de styles architecturaux.

Dès le XVe siècle, les Espagnols puis les Portugais introduisent la culture arabe. Dans la langue, les meilleurs exemples en sont sans doute le "Ojala" espagnol et le "Oxala" brésilien, hérités du "Inch’Allah" arabe ; dans l’architecture, les azulejos des maisons coloniales (musée de l’Azulejo à Colonia, en Uruguay), des palais (la Glorieta de Sucre, en Bolivie), des églises (Igrejinha, à Salvador de Bahia) ; dans la musique, le luth devenu le "cavaquinho" de la samba ; dans l’agriculture, les méthodes d’irrigation et les cultures de la canne à sucre, du café, du blé et du riz. Puis, à partir de 1875, des vagues d’immigrants, essentiellement des chrétiens provenant de la Grande Syrie, partent à la conquête de l’Amérique, l’"Amrik" ou "l’autre Amérique" , par opposition à celle du Nord. Un petit bagage à la main, ils débarquent dans les ports de Santos, Buenos Aires, Santiago, Lima et Veracruz. Cent trente ans plus tard, la communauté arabe d’Amérique latine compte 17 millions de personnes. Ils doivent être "le trait d’union" des relations entre les deux régions, a souhaité le président algérien Abdelaziz Bouteflika, dans son discours inaugural prononcé au sommet de Brasilia.

Ces immigrés ont fui la pauvreté, les persécutions et discriminations de l’Empire ottoman. Ils ont été appelés "turcos" , à cause des passeports turcs qu’ils exhibaient à leur arrivée. Ces "turcos" ont été adoptés par les romanciers Jorge Amado, Gabriel Garcia Marquez ou Isabel Allende.

A Brasilia, la belle exposition "Amrik" , organisée par le ministère brésilien des relations extérieures, est consacrée à leur histoire. Au début, les hommes sont venus seuls, avec un frère, un père, des voisins. Très vite, poussés par la nécessité, ils ont repris leur domaine d’activité favori, le commerce, en tant que colporteurs, de village en village pour proposer tissus et colifichets, ou bien dans des échoppes au coeur des grandes villes.

NOUVELLE TERRE PROMISE

Ces quartiers ont traversé les années, comme le Saara, dans le centre historique de Rio de Janeiro. Les familles les ont rejoints dans leur nouvelle terre promise, mais des clichés jaunis témoignent aussi de l’intégration des arrivants par des mariages avec des jeunes Sud- Américains comme celui de Don Elias et Dona Luisa à Buenos Aires, avant la seconde guerre mondiale.

Toutes les grandes cités latino-américaines comptent leur club, leur école, leur hôpital syro-libanais, devenus des lieux huppés. Les Arabes s’intègrent et se fondent dans une société perméable à leurs coutumes. En ouvrant le sommet, à Brasilia, le président Luiz Inacio Lula da Silva a évoqué l’hospitalité arabe du peuple brésilien. Les descendants de Syriens et de Libanais, et aussi de Palestiniens (au Chili et dans le sud du Brésil) sont présents dans tous les secteurs : la politique (présidents Carlos Menem en Argentine, Jamil Mahuad ou Abdala Bucaram en Equateur, Tony Saca au Salvador), la médecine, l’Université, la littérature et les affaires (le Mexicain Carlos Slim détient la plus grosse fortune de l’Amérique latine).

Il est impossible d’imaginer la cuisine latino-américaine sans l’influence du safran, de l’huile d’olive, substitut de la graisse de porc interdite, du clou de girofle et de la cannelle. A Sao Paulo, mégapole qui compte plusieurs millions de descendants d’Arabes (12 millions pour le seul Brésil), un quart des repas servis dans les bars et restaurants sont issus de recettes arabes : taboulé, brochettes de viande, purée de pois chiches, desserts au miel. Il existe même une chaîne nationale de fast-food, Habib’s, qui fabrique mensuellement deux millions de "kibe" , la boulette de viande frite.

Avec les vagues d’immigrations plus récentes sont apparues les constructions d’édifices religieux. De grandes photos couleurs, à l’exposition, montrent l’élégance de la mosquée du Centre culturel de Buenos Aires, inaugurée il y a quelques années près du stade de polo, à Palermo. Au Centre éducatif libanais de Ciudad del Este (Paraguay), des petites Paraguayennes voilées se jouent de l’objectif qui les vise. Enfin, des danseuses du ventre, dans un salon de thé égyptien, à Sao Paulo, ou la maison des Bédouins de Buenos Aires, révèlent une vision plus chic des jeunes générations. Au Brésil, un feuilleton télévisé, censé se passer au Maroc, avait popularisé la "dança do ventre" et ses artifices, qui n’a cependant pas supplanté la samba.

En quittant l’exposition, la plupart des visiteurs brésiliens sortent étonnés. Ils ont découvert l’importance d’un héritage qu’au quotidien ils ne perçoivent plus.

Par Annie Gasnier, lemonde.fr