Psycho
GAME OF THRONES SAISON 8 : SUITE ET FIN DE LA SÉRIE PHÉNOMÈNE
TRAUMA - Ce dimanche soir, des fans du monde entier assisteront à la fin de la série "Game of Thrones", le temps d'un épisode final augurant un grand moment de deuil collectif. Un psychologue fan de la série explique ce mécanisme en apparence irrationnel et pourtant bien réel.
17 mai 18:13 - Romain LE VERN
Pénible moment pour tout fan de série que de regarder le dernier épisode de l'ultime saison. A tel point que la "der des ders" de Game of Thrones, qui durera une heure et vingt minutes et sera diffusé lundi 20 mai à 3h du matin en France (en simultané avec les Etats-Unis) devrait raviver cette douleur d'accompagner les personnages qui la composent jusqu'à leur dernier souffle, donnant parfois l'illusion d'accompagner un proche dans l'épreuve de la mort.
C'est par exemple ce qu'ont vécu les aficionados de Six Feet Under, cette série créée en 2001 par Alan Ball sur une famille de croque-morts, endeuillée dès le tout premier épisode par la mort du patriarche, comprenant progressivement, au contact des autres, à quel point ils restaient, eux, vivants. Une sublime idée d'épisode final consistait à faire "mourir la série" et à assembler toutes les morts de chaque membre de cette famille et de leurs proches. L'effet à ce moment-là incitait paradoxalement chaque spectateur à "vivre sa vie" à son tour (à quitter le petit écran pour regarder les autres, les aimer, suivre ses désirs etc.) et il avivait alors une émotion si forte qu'elle demeure encore aujourd'hui - certains en parlent toujours avec des trémolos dans la voix en 2019. Le cinéaste Xavier Dolan, le premier : il ne s'en est jamais remis, à tel point qu'il a repris beaucoup d'idées de cette série pour ses films Mommy et Jusqu'à la fin du monde.
Récemment, la série The Leftovers, issue du cerveau fécond de Damon Lindelof, le co-créateur de Lost, a reproduit un phénomène du même ordre ; et, de toute évidence, vu les passions qu'elle revêt déjà, la diffusion du dernier épisode de Game of Thrones devrait produire le même impact émotionnel. C'est ni plus ni moins que le crépuscule d'une saga forte et fédératrice, aux rebondissements coups de poing, ayant tenu en haleine ses spectateurs pendant des années depuis la diffusion du tout premier épisode en 2011. Un tel climax que certains risquent de ne pas s'en remettre : d'après une étude Harris, 11 millions d’Américains auraient prévu de ne pas se rendre au travail ce lundi pour cette raison.
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Faire le deuil d'une époque et de ses souvenirs
Alors est-ce normal de réagir de la sorte ou marchons-nous sur la tête ? Peut-être faut-il tout d'abord prendre en compte tous les événements corrélés à une série. Un attachement extrême qui, selon le psychologue Samuel Dock, contacté par LCI, s'explique par la durée d'existence : "Des séries comme Six Feet Under ouThe Leftovers ont pris le temps de développer des situations complexes, en les inscrivant dans des récits initiatiques, en investissant une certaine psychologie des personnages. Lorsqu'elles s'achèvent, le spectateur doit faire le deuil du manque. Bien sûr, on pourra regarder les anciens épisodes. Bien sûr, on pourra s’y replonger. Mais pour autant, ce sentiment d’attente est à jamais perdu."
Game of Thrones n'échappera pas à la règle : "De nombreux souvenirs intimes sont liés à cette série comme certains mariages à thème, les soirées entre amis… Depuis le début, cette série propose des personnages extrêmement variés auxquels chacun peut s’identifier – même si certains, très appréciés par les spectateurs, sont morts et enterrés depuis bien longtemps. Dans ce dernier épisode, c'est le glas d'une époque dont les fans devront se départir. Les personnages emporteront alors avec eux l'identification du spectateur." Et le deuil de cette série d'être "impossible" si sa conclusion n'est pas à la hauteur des attentes comme des enjeux : "Le spectateur aura tourné autour du désir sans jamais l’atteindre", poursuit-il. "En d'autres termes, si la fin n’est pas conforme aux attentes du spectateur, il y aura un sentiment de trahison, d’impuissance voire même de déprime." Ambiance...
Rien ne nous empêche désormais de réécrire l’histoireSamuel Dock, psychologue
Un autre point important sur lequel le psychologue insiste, c’est sur la notion de traumatisme : "J’ai l’impression que, sur ce dernier épisode, l’infraction des codes fondateurs du récit, soit la manière dont on décide du sort des personnages, va laisser des traces persistances chez le spectateur. Bien sûr, on est habitué depuis le début à des morts violentes dans la série mais elles avaient leur part de cohérence, elles arrivaient à s’inscrire dans le récit. Sur ce coup, comme il s’agit d’une dernière ligne droite, ces morts n’auront plus le temps de se déployer dans le temps. Le fan n’arrivera plus à y réfléchir, à mettre des mots dessus. Un contenu psychique qu’il ne pourra pas se représenter, qu’il ne pourra pas penser. Parce que c’est trop soudain, trop brutal. Ce feu d’artifice final sera alors abscons pour quiconque. Or, on ne peut se détacher que de ce que l’on peut se représenter."
Une question bien naïve se pose alors pour aider les fans hardcore ayant peur de se faire interner de force ce lundi : "comment peut-on se remettre sereinement d'un tel deuil cathodique ?" : "Il faut tout d'abord questionner le trop grand investissement de soi dans un produit culturel", note le psychologue. "Et il faut ensuite, je crois, se replonger dans les livres, aborder la série d’une autre manière, en la faisant vivre dans son esprit, en la cultivant… Autant de manières de faire perdurer la narration, de manier le récit voire le réinventer. Il faut assimiler, se rappeler que ces personnages n’existent pas, qu’il s’agit d’une configuration fantasmagorique, de visions d'artistes et qu’on peut leur inventer des destins plus plaisants. Rien ne nous empêche désormais de réécrire l’histoire." Soit une manière de conjurer l'affreux sort par la force transcendante de notre imaginaire.
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TRAUMA - Ce dimanche soir, des fans du monde entier assisteront à la fin de la série "Game of Thrones", le temps d'un épisode final augurant un grand moment de deuil collectif. Un psychologue fan de la série explique ce mécanisme en apparence irrationnel et pourtant bien réel.
17 mai 18:13 - Romain LE VERN
Pénible moment pour tout fan de série que de regarder le dernier épisode de l'ultime saison. A tel point que la "der des ders" de Game of Thrones, qui durera une heure et vingt minutes et sera diffusé lundi 20 mai à 3h du matin en France (en simultané avec les Etats-Unis) devrait raviver cette douleur d'accompagner les personnages qui la composent jusqu'à leur dernier souffle, donnant parfois l'illusion d'accompagner un proche dans l'épreuve de la mort.
C'est par exemple ce qu'ont vécu les aficionados de Six Feet Under, cette série créée en 2001 par Alan Ball sur une famille de croque-morts, endeuillée dès le tout premier épisode par la mort du patriarche, comprenant progressivement, au contact des autres, à quel point ils restaient, eux, vivants. Une sublime idée d'épisode final consistait à faire "mourir la série" et à assembler toutes les morts de chaque membre de cette famille et de leurs proches. L'effet à ce moment-là incitait paradoxalement chaque spectateur à "vivre sa vie" à son tour (à quitter le petit écran pour regarder les autres, les aimer, suivre ses désirs etc.) et il avivait alors une émotion si forte qu'elle demeure encore aujourd'hui - certains en parlent toujours avec des trémolos dans la voix en 2019. Le cinéaste Xavier Dolan, le premier : il ne s'en est jamais remis, à tel point qu'il a repris beaucoup d'idées de cette série pour ses films Mommy et Jusqu'à la fin du monde.
Récemment, la série The Leftovers, issue du cerveau fécond de Damon Lindelof, le co-créateur de Lost, a reproduit un phénomène du même ordre ; et, de toute évidence, vu les passions qu'elle revêt déjà, la diffusion du dernier épisode de Game of Thrones devrait produire le même impact émotionnel. C'est ni plus ni moins que le crépuscule d'une saga forte et fédératrice, aux rebondissements coups de poing, ayant tenu en haleine ses spectateurs pendant des années depuis la diffusion du tout premier épisode en 2011. Un tel climax que certains risquent de ne pas s'en remettre : d'après une étude Harris, 11 millions d’Américains auraient prévu de ne pas se rendre au travail ce lundi pour cette raison.
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Game of Thrones n'échappera pas à la règle : "De nombreux souvenirs intimes sont liés à cette série comme certains mariages à thème, les soirées entre amis… Depuis le début, cette série propose des personnages extrêmement variés auxquels chacun peut s’identifier – même si certains, très appréciés par les spectateurs, sont morts et enterrés depuis bien longtemps. Dans ce dernier épisode, c'est le glas d'une époque dont les fans devront se départir. Les personnages emporteront alors avec eux l'identification du spectateur." Et le deuil de cette série d'être "impossible" si sa conclusion n'est pas à la hauteur des attentes comme des enjeux : "Le spectateur aura tourné autour du désir sans jamais l’atteindre", poursuit-il. "En d'autres termes, si la fin n’est pas conforme aux attentes du spectateur, il y aura un sentiment de trahison, d’impuissance voire même de déprime." Ambiance...
Rien ne nous empêche désormais de réécrire l’histoireSamuel Dock, psychologue
Un autre point important sur lequel le psychologue insiste, c’est sur la notion de traumatisme : "J’ai l’impression que, sur ce dernier épisode, l’infraction des codes fondateurs du récit, soit la manière dont on décide du sort des personnages, va laisser des traces persistances chez le spectateur. Bien sûr, on est habitué depuis le début à des morts violentes dans la série mais elles avaient leur part de cohérence, elles arrivaient à s’inscrire dans le récit. Sur ce coup, comme il s’agit d’une dernière ligne droite, ces morts n’auront plus le temps de se déployer dans le temps. Le fan n’arrivera plus à y réfléchir, à mettre des mots dessus. Un contenu psychique qu’il ne pourra pas se représenter, qu’il ne pourra pas penser. Parce que c’est trop soudain, trop brutal. Ce feu d’artifice final sera alors abscons pour quiconque. Or, on ne peut se détacher que de ce que l’on peut se représenter."
Une question bien naïve se pose alors pour aider les fans hardcore ayant peur de se faire interner de force ce lundi : "comment peut-on se remettre sereinement d'un tel deuil cathodique ?" : "Il faut tout d'abord questionner le trop grand investissement de soi dans un produit culturel", note le psychologue. "Et il faut ensuite, je crois, se replonger dans les livres, aborder la série d’une autre manière, en la faisant vivre dans son esprit, en la cultivant… Autant de manières de faire perdurer la narration, de manier le récit voire le réinventer. Il faut assimiler, se rappeler que ces personnages n’existent pas, qu’il s’agit d’une configuration fantasmagorique, de visions d'artistes et qu’on peut leur inventer des destins plus plaisants. Rien ne nous empêche désormais de réécrire l’histoire." Soit une manière de conjurer l'affreux sort par la force transcendante de notre imaginaire.