Raymond Cloarec, ex-parachutiste, se confie A LA NOUVELLE REPUBLIQUE
«Ma guerre d’Algérie : mon traumatisme à vie»...
Ex-militaire français appartenant au 3e Régiment de parachutistes coloniaux commandé par le tristement célèbre colonel Bigeard, a consigné ses mémoires dans des registres à spirales déposés aux Archives militaires françaises. Dans ses écrits, il décrit tous les crimes et exactions qu’il a commis comme pour tenter de se débarrasser d’un fardeau.
Raymond Cloarec (ex-parachutiste, «criminel de guerre») : crimes et remords
«MA GUERRE D’ALGERIE», «CE DONT JE ME SOUVIENS» L’objet de mes traumatismes à vie… !
Mes 57 mois effectifs sur le terrain opérationnel :
Mon peloton «Fana»
Mes deux batailles d’Alger
Mes 3 mois d’hôpital – hôpital militaire Ducros de Blida (en service commandé), dû à un épuisement total physique et moral, consécutif aux opérations de jour comme de nuit dans la neige, le froid de l’Atlas blidéen.
Après le séjour à Chypre (opération pour le Canal de Suez) et le traumatisme de la 1re Bataille d’Alger jusqu’au 14 Avril 1957, dû aux exactions «dépassant l’entendement», quant à la brutalité de nos actes dus aux pleins pouvoirs civil et militaire, ont eu raison de ma résistance et de mes 20 ans.
«Pour l’histoire» extrait
Pourquoi Cloarec a souffert de cette guerre d’Algérie, il en a trop vu, il en a trop fait (75 morts sur sa conscience). Il a été abandonné à sa démobilisation par les instances militaires, du fait qu’il n’acceptait plus les exactions, ni la trahison. Aujourd’hui, il dévoile la réalité des faits. Il dérange.
Je veux préciser, en ce qui me concerne, les résistants algériens tués de main fait sont ventilés comme suit :
30 tués le 4 avril 1958 : Djebel Djedira au sud de Bir el-Ater, seul car j’ai voulu protéger mon groupe de 12, au péril de ma vie. J’ai été cité à l’Ordre de l’Armée, «une Palme» par le ministre des Armées.
12 tués le 21 Novembre 1957 : D’anciens méharistes déserteurs, dans le grand Erg occidentale. Nous étions encerclés. Mon chef, René Sentenac, ils venaient de le tuer ainsi que le lieutenant Roher, chef de section. Nous n’avions pas le choix, c’était du tir au pigeon, dès qu’ils s’élançaient sur notre position pour nous donner l’assaut, nous n’avions pas le choix, c’était eux ou nous.
J’ai été cité par le général d’armée Raoul Salan à l’Ordre du Cors d’armée.
3 tués le 12 Février 1957 : Dans la casbah d’Alger, lors de la 1re Bataille d’Alger. A l’issue de cette Bataille, le 14 avril 1957, j’étais exténué de fatigue, mais surtout traumatisé par toutes nos exactions dépassant l’entendement.
J’ai craqué. Je crachais le sang… ! Ce qui m’a valu 3 mois d’hôpital, en service commandé, du 14 avril 1957 au 22 juillet 1957, plus de 3 semaines de convalescence et le 15 août, j’étais de retour à la 2e Bataille d’Alger aussi terrible que la première, jusqu’au 4 septembre 1957.
Je passerai sur d’autres opérations, telles que celle du 02.08.1956, lors d’un violent accrochage au sud-est de Kérane, dans les Menentchas. Avec mon groupe, nous avons tué 4 rebelles dans des conditions particulièrement difficiles qui m’ont profondément marqué… ! J’ai été cité à l’Ordre du Régiment.
Et bien d’autres opérations puisque j’ai fait 6 ans d’année dont 57 mois effectifs opérationnel à 100% sur le terrain et dans une multitude d’opérations citées au jour le jour dans mes manuscrits déposés aux Archives nationales.
La plus terrible reste gravée dans ma mémoire. Ce fut l’opération 838, du 13 mars au 18 mars 1956. J’étais aux avant-postes avec le peloton Fana… !
Détails : 9h35, Peloton héliporté sur zone
11h25 : Peloton héliporté par groupe de 8 gars vers les centres d’accrochages toujours en tête.
Nous avions carte blanche, sous les ordres du Lieutenant Pissard. C’est là que nous avons fait le massacre d’un village : 37 tués et village incendié. C’était dans la journée du 17 mars 1956.
Secteurs : Mondovi – Duvivier – Laverdure / Un village sur les sommets.
Le but était de détruire les villages et les habitants civils qui servaient de pont de ravitaillement et de ralliement à des bandes rebelles.
Ni Bigeard ni d’autres officiers ne font cas ni de nous ni du massacre, dans aucune page d’histoire. Moi, j’ai tout noté, même les détails des exécutions pour les achever… !
Soit au total : 30 + 12 + 3 + 4 + 37 = 86
A cela, il faut que je rajoute les exécutions sommaires individuelles citées dans mes manuscrits ou livre «Algérie, une guerre sans gloire»
6 sur ordre soit 86 + 6 = 92
A noter que dans les 86, je n’en compte que 75 de mon fait. La différence est le fait de mon groupe ou mon équipe. En responsabilité collective soit à Kérane, Menentchas, Timimoun, ou autres opérations, celle du 24 au 25 décembre 1960, de nuit, en embuscade où nous avons eu 3 morts dans nos rangs… ! (Lors qu’une erreur de commandement).
Voilà pourquoi aujourd’hui je confirme que je ne me considère non pas comme un héros, mais plutôt comme «un criminel de guerre» et rien d’autre.
J’ai obéi aux ordres de mes chefs, comme le veut la doctrine du Commandement. A leurs yeux, j’ai été considéré comme un soldat exemplaire, un Sous/Officier d’élite qui n’a jamais eu en 6 ans d’armée ni un jour de consigne, ni un jour de prison, ni un jour d’arrêt de rigueur… !
J’ai quitté l’armée le 8 Février 1961 à cause d’une «trahison», car, après m’avoir fait faire tout ça pour rien, tous ces morts des deux côtés, pour rien, je me suis senti trahi. D’autres ont choisi l’OAS, pas moi, d’autres sont devenus, «nos anciens chefs», des généraux illustres dont un, le général Mauric Schmitt, chef d’Etat-Major des armées.
Moi, pour tout ça, je n’ai jamais voulu demandé quoi que ce soit, j’ai toujours eu honte de demander quoi que ce soit surtout pas des décorations.
«Je touche en tout et pour tout 4,75 € par an… ! Grâce à ma Médaille Militaire et ma Légion d’Honneur.»
NOTA : Se taire est une lâcheté, se couvrir du devoir de réserve est une démission.
Mais trop c’est trop…! Le moment est venu car aujourd’hui je suis détruit
C’est terrible de repenser à toutes ces tueries pour rien…!
NOTA : Plus vous vieillissez, plus le harcèlement de ces souvenirs vous hante… ! Et vous détruit à petit feu…
Nice, le 6 décembre 2007
Monsieur le Président,
Tout d’abord, avant toute chose, permettez-moi en ma qualité d’Ancien Combattant de vous féliciter pour votre premier pas envers l’Algérie au nom de la France. D’autant plus méritoire du fait que vous êtes la génération des 50 ans, ceux qui n’ont pas connu cette guerre. Vous pouvez parler sans haine, donc plus qualifié que nous pour enfin concilier, coopérer avec ce peuple qui attend depuis 45 ans autant que nous «la réconciliation de nos deux pays». C’est un devoir pressant, car à trop tarder, c’est nos enfants qui nous le demanderont et ils risqueraient de le faire à notre place et de nous le reprocher.
Mais avant toute chose, la réconciliation ne pourra jamais se faire harmonieusement entre ces deux peuples, «sans la repentance». Mais, entendons-nous bien, la repentance ne peut pas être individuelle mais collective de part et d’autre. Le jour où nous admettrons ça, nous aurons tout compris.
«Ma guerre d’Algérie : mon traumatisme à vie»...
Ex-militaire français appartenant au 3e Régiment de parachutistes coloniaux commandé par le tristement célèbre colonel Bigeard, a consigné ses mémoires dans des registres à spirales déposés aux Archives militaires françaises. Dans ses écrits, il décrit tous les crimes et exactions qu’il a commis comme pour tenter de se débarrasser d’un fardeau.
Raymond Cloarec (ex-parachutiste, «criminel de guerre») : crimes et remords
«MA GUERRE D’ALGERIE», «CE DONT JE ME SOUVIENS» L’objet de mes traumatismes à vie… !
Mes 57 mois effectifs sur le terrain opérationnel :
Mon peloton «Fana»
Mes deux batailles d’Alger
Mes 3 mois d’hôpital – hôpital militaire Ducros de Blida (en service commandé), dû à un épuisement total physique et moral, consécutif aux opérations de jour comme de nuit dans la neige, le froid de l’Atlas blidéen.
Après le séjour à Chypre (opération pour le Canal de Suez) et le traumatisme de la 1re Bataille d’Alger jusqu’au 14 Avril 1957, dû aux exactions «dépassant l’entendement», quant à la brutalité de nos actes dus aux pleins pouvoirs civil et militaire, ont eu raison de ma résistance et de mes 20 ans.
«Pour l’histoire» extrait
Pourquoi Cloarec a souffert de cette guerre d’Algérie, il en a trop vu, il en a trop fait (75 morts sur sa conscience). Il a été abandonné à sa démobilisation par les instances militaires, du fait qu’il n’acceptait plus les exactions, ni la trahison. Aujourd’hui, il dévoile la réalité des faits. Il dérange.
Je veux préciser, en ce qui me concerne, les résistants algériens tués de main fait sont ventilés comme suit :
30 tués le 4 avril 1958 : Djebel Djedira au sud de Bir el-Ater, seul car j’ai voulu protéger mon groupe de 12, au péril de ma vie. J’ai été cité à l’Ordre de l’Armée, «une Palme» par le ministre des Armées.
12 tués le 21 Novembre 1957 : D’anciens méharistes déserteurs, dans le grand Erg occidentale. Nous étions encerclés. Mon chef, René Sentenac, ils venaient de le tuer ainsi que le lieutenant Roher, chef de section. Nous n’avions pas le choix, c’était du tir au pigeon, dès qu’ils s’élançaient sur notre position pour nous donner l’assaut, nous n’avions pas le choix, c’était eux ou nous.
J’ai été cité par le général d’armée Raoul Salan à l’Ordre du Cors d’armée.
3 tués le 12 Février 1957 : Dans la casbah d’Alger, lors de la 1re Bataille d’Alger. A l’issue de cette Bataille, le 14 avril 1957, j’étais exténué de fatigue, mais surtout traumatisé par toutes nos exactions dépassant l’entendement.
J’ai craqué. Je crachais le sang… ! Ce qui m’a valu 3 mois d’hôpital, en service commandé, du 14 avril 1957 au 22 juillet 1957, plus de 3 semaines de convalescence et le 15 août, j’étais de retour à la 2e Bataille d’Alger aussi terrible que la première, jusqu’au 4 septembre 1957.
Je passerai sur d’autres opérations, telles que celle du 02.08.1956, lors d’un violent accrochage au sud-est de Kérane, dans les Menentchas. Avec mon groupe, nous avons tué 4 rebelles dans des conditions particulièrement difficiles qui m’ont profondément marqué… ! J’ai été cité à l’Ordre du Régiment.
Et bien d’autres opérations puisque j’ai fait 6 ans d’année dont 57 mois effectifs opérationnel à 100% sur le terrain et dans une multitude d’opérations citées au jour le jour dans mes manuscrits déposés aux Archives nationales.
La plus terrible reste gravée dans ma mémoire. Ce fut l’opération 838, du 13 mars au 18 mars 1956. J’étais aux avant-postes avec le peloton Fana… !
Détails : 9h35, Peloton héliporté sur zone
11h25 : Peloton héliporté par groupe de 8 gars vers les centres d’accrochages toujours en tête.
Nous avions carte blanche, sous les ordres du Lieutenant Pissard. C’est là que nous avons fait le massacre d’un village : 37 tués et village incendié. C’était dans la journée du 17 mars 1956.
Secteurs : Mondovi – Duvivier – Laverdure / Un village sur les sommets.
Le but était de détruire les villages et les habitants civils qui servaient de pont de ravitaillement et de ralliement à des bandes rebelles.
Ni Bigeard ni d’autres officiers ne font cas ni de nous ni du massacre, dans aucune page d’histoire. Moi, j’ai tout noté, même les détails des exécutions pour les achever… !
Soit au total : 30 + 12 + 3 + 4 + 37 = 86
A cela, il faut que je rajoute les exécutions sommaires individuelles citées dans mes manuscrits ou livre «Algérie, une guerre sans gloire»
6 sur ordre soit 86 + 6 = 92
A noter que dans les 86, je n’en compte que 75 de mon fait. La différence est le fait de mon groupe ou mon équipe. En responsabilité collective soit à Kérane, Menentchas, Timimoun, ou autres opérations, celle du 24 au 25 décembre 1960, de nuit, en embuscade où nous avons eu 3 morts dans nos rangs… ! (Lors qu’une erreur de commandement).
Voilà pourquoi aujourd’hui je confirme que je ne me considère non pas comme un héros, mais plutôt comme «un criminel de guerre» et rien d’autre.
J’ai obéi aux ordres de mes chefs, comme le veut la doctrine du Commandement. A leurs yeux, j’ai été considéré comme un soldat exemplaire, un Sous/Officier d’élite qui n’a jamais eu en 6 ans d’armée ni un jour de consigne, ni un jour de prison, ni un jour d’arrêt de rigueur… !
J’ai quitté l’armée le 8 Février 1961 à cause d’une «trahison», car, après m’avoir fait faire tout ça pour rien, tous ces morts des deux côtés, pour rien, je me suis senti trahi. D’autres ont choisi l’OAS, pas moi, d’autres sont devenus, «nos anciens chefs», des généraux illustres dont un, le général Mauric Schmitt, chef d’Etat-Major des armées.
Moi, pour tout ça, je n’ai jamais voulu demandé quoi que ce soit, j’ai toujours eu honte de demander quoi que ce soit surtout pas des décorations.
«Je touche en tout et pour tout 4,75 € par an… ! Grâce à ma Médaille Militaire et ma Légion d’Honneur.»
NOTA : Se taire est une lâcheté, se couvrir du devoir de réserve est une démission.
Mais trop c’est trop…! Le moment est venu car aujourd’hui je suis détruit
C’est terrible de repenser à toutes ces tueries pour rien…!
NOTA : Plus vous vieillissez, plus le harcèlement de ces souvenirs vous hante… ! Et vous détruit à petit feu…
Nice, le 6 décembre 2007
Monsieur le Président,
Tout d’abord, avant toute chose, permettez-moi en ma qualité d’Ancien Combattant de vous féliciter pour votre premier pas envers l’Algérie au nom de la France. D’autant plus méritoire du fait que vous êtes la génération des 50 ans, ceux qui n’ont pas connu cette guerre. Vous pouvez parler sans haine, donc plus qualifié que nous pour enfin concilier, coopérer avec ce peuple qui attend depuis 45 ans autant que nous «la réconciliation de nos deux pays». C’est un devoir pressant, car à trop tarder, c’est nos enfants qui nous le demanderont et ils risqueraient de le faire à notre place et de nous le reprocher.
Mais avant toute chose, la réconciliation ne pourra jamais se faire harmonieusement entre ces deux peuples, «sans la repentance». Mais, entendons-nous bien, la repentance ne peut pas être individuelle mais collective de part et d’autre. Le jour où nous admettrons ça, nous aurons tout compris.
Commentaire