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Mohamed El Baradei : La bête noire de Washington
vendredi 7 janvier 2005, par
Borné dans sa nature, infini dans ses vœux L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux Je marche dans la nuit par un chemin mauvais Ignorant d’où je viens, incertain où je vais.
Lamartine
Le patron de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohamed El Baradei, est l’unique candidat à sa propre succession. A la grande colère de Washington qui multiplie les tentatives pour l’empêcher d’assumer un troisième mandat. Les Etats-Unis ne veulent pas de Mohamed El Baradei. L’Administration américaine multiplie les tentatives pour l’empêcher d’accéder pour la troisième fois à la tête de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Pourtant, Mohamed El Baradei a toutes les chances de retrouver son siège aux prochaines élections. Washington n’arrive pas à le déloger du poste qu’il occupe depuis 1993. L’avocat égyptien est soutenu par ses pairs et par de nombreux pays. Il en veut pour preuve que personne ne s’est aligné contre lui. Il est le candidat unique à sa propre succession.
A 62 ans, l’ancien avocat cairote, père de deux enfants, et représentant permanent de l’Egypte auprès des Nations unies dans les années 1960, est devenu la bête noire des faucons de George Bush. C’est durant les mois qui ont précédé la guerre en Irak que son nom, ainsi que celui de son complice et ami, le Suédois Hans Blix, sont devenus communs pour la planète entière. Les deux hommes contredisaient Washington sur la possession d’armes de destruction massive par Saddam Hussein, obligeant ainsi les Etats-Unis à se passer de l’ONU dans son aventure irakienne. Et ce n’est pas la position de Mohamed El Baradei sur l’Iran qui va leur faire changer d’avis. Mohamed El Baradei affirme ne détenir aucune preuve décisive de ce que l’Iran cherche à se doter de l’arme atomique ainsi que l’assène Washington depuis des mois. Certains responsables américains l’accusent non seulement de manquer de fermeté envers l’Irak et l’Iran, mais aussi d’avoir dissimulé au Conseil des gouverneurs de l’AIEA des informations qui auraient pu aider les Etats-Unis à saisir le Conseil de sécurité du cas de l’Iran pour imposer des sanctions économiques à la République islamique.
La grande oreille de Washington
En novembre dernier, les Etats-Unis accusent le coup. Le très influent quotidien Washington Post révèle que l’Administration américaine a mis le patron de l’Agence internationale de l’énergie atomique sur écoute. Ses conversations avec les responsables iraniens étaient espionnées. Sous le couvert de l’anonymat, certaines sources américaines l’accusent de partialité envers l’Iran. Ce que dément l’intéressé qui est plus serein que jamais. « L’homme atomique » peut se réjouir : Téhéran a accepté, provisoirement et sous pression de la communauté internationale, de suspendre son programme d’enrichissement d’uranium. Un motif de satisfaction pour celui qui a toujours refusé de suivre aveuglément les recommandations de Washington : saisir le Conseil de sécurité et ouvrir la voie à l’usage de la force. « Les Européens ont pris la voie correcte, à ce stade. Ils ont donné une dernière chance à l’Iran avant d’en venir aux mesures coercitives. Ils ont pris en considération la volonté de l’Iran de devenir pleinement coopératif. Ils ont ouvert la porte au commerce et au transfert de technologie pacifique. C’est une approche équilibrée, qui use à la fois de la carotte et du bâton. J’ose espérer que les Iraniens comprendront que c’est vraiment la dernière chance qui leur est offerte.
D’autre part, il faut remarquer que le Conseil de sécurité de l’ONU n’est pas toujours la panacée. En février, nous lui avons transmis le dossier nord-coréen. Il n’a toujours pas été capable de s’entendre, ne serait-ce que sur une déclaration », fait-il remarquer. Autre motif de grief : l’enfant du Nil demande le désarmement de tout le Proche-Orient, y compris de l’unique force nucléaire de la région, Israël. C’est ici que l’ancien diplomate égyptien s’est heurté à une forte résistance. Aucun pays occidental n’est prêt à faire pression sur Ariel Sharon pour qu’il revoie sa politique nucléaire. D’ailleurs, juste avant la visite de Mohamed El Baradei en Israël, le gouvernement Sharon s’est empressé de signaler qu’il n’était pas question pour Israël de signer le traité de non-prolifération d’armes nucléaires, sans qu’aucune voix ne s’élève pour exiger d’Israël un respect minimum quant aux armes de destruction massive. Mieux, ou pire, l’Etat hébreu se disait prêt à bombarder les sites nucléaires iraniens, comme il l’avait fait avec l’Irak. Pèlerin de la paix, Mohamed El Baradei a osé exposer au grand jour ces contradictions, déclenchant un raz-de-marée diplomatique d’indignation des mêmes pays qui exigent l’arrêt total de la prolifération des armes nucléaires dans les pays du tiers-mode, notamment la Corée du Sud, l’Iran et la Libye.
Le contre-exemple
Mohamed El Baradei a même osé relever les incohérences de l’Administration Bush : « Lorsqu’on voit le Congrès débloquer des millions de dollars pour la recherche sur les minibombes nucléaires, on comprend que, loin de viser le désarmement nucléaire, les Etats-Unis cherchent à améliorer leur arsenal. Il nous faut bâtir un nouveau système de sécurité qui ne repose ni sur la dissuasion ni sur le ”parapluie” nucléaire », explique-t-il au Figaro.
Une affaire de temps
La réélection de Mohamed El Baradei est acquise, mais elle risque de prendre du temps. Certains diplomates estiment que cela pourrait prendre plusieurs mois en raison de l’opposition de Washington au diplomate égyptien.
Parcours
Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohammed El Baradei est né en 1942 au Caire. Après des études de droit à l’université du Caire, il entre dans la diplomatie égyptienne comme représentant permanent de son pays à l’ONU. Il se spécialise dans les questions légales et le contrôle des armements. Il est nommé, dans les années 1980, conseiller spécial auprès du ministre des Affaires étrangères égyptien. Il devient ensuite fonctionnaire international à l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche où il s’occupe du droit international. Parallèlement, il enseigne le droit international à l’université de New York. Il entre à l’AIEA (Vienne, Autriche) en tant que conseiller juridique, puis gravit les échelons du secrétariat de l’organisation, dirigée alors par Hans Blix qui le prend comme assistant chargé des relations extérieures. En 1997, il succède à ce dernier à la tête de l’AIEA, et son mandat de 4 ans est renouvelé en 2001. Au 31 décembre 2004 , il sera l’unique candidat à sa propre succession.
Par Rémi Yacine, El Watan